Homme et Animal : 5000 km à vélo sur la Route de la Soie

Prologue

Il est 14h. Nous nous installons à l’arrière de la vieille Lada cabossée d’Akjol, vétérinaire rural exerçant dans les contreforts du Pamir, au Kirghizstan. Depuis quatre semaines que nous pédalons dans le pays, c’est la première fois que nous avons la chance d’accompagner un confrère. Il fait froid et le radiateur dans la voiture ne marche pas. Akjol a été appelé car une des vaches de l’éleveur ne se lève plus depuis deux jours. Apres avoir traversé une rivière bouillonnante drainant les glaciers des sommets environnants culminant à plus de 7000 mètres d’altitude, nous arrivons dans un petit hameau composé de quelques constructions en torchis. A notre arrivée, nous sommes stupéfaits : le diagnostic doit se faire sans stéthoscope ni thermomètre. « Les moyens sont extrêmement limités dans le Pamir, nous explique Akjol, mais il faut faire avec ». En Asie centrale, même s’il est bien considéré, le métier de vétérinaire est très difficile. Les études sont courtes (deux ans) et les revenus maigres. Pour arrondir ses fins de mois et nourrir décemment sa famille, Akjol travaille aussi à la maison de santé du village deux jours par semaine.

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Campagne de vaccination contre la fièvre aphteuse a Sary-Mogol (Kirghizstan)

C’est pour recueillir et transmettre le témoignage de personnes comme Akjol que, le 11 juillet 2016, nous, Claire et Timothée, vétérinaires et citoyens du monde, sommes partis en Asie centrale à dos de vélo et caméra en main à la rencontre d’hommes et de femmes dont la vie gravite autour des animaux, qu’ils soient de rente, de loisir, de sport, de travail ou de compagnie.

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Sur les bords du lac Karakol, 3600m (Route du Pamir, Tadjikistan)

L’animal dans l’Histoire

L’histoire de l’Asie Centrale est intimement liée à celle de la Route de la Soie où se mélangeaient les cultures, les technologies et les religions. Cette route commerciale est née au IIIème siècle avant J.C. et a été activement empruntée jusqu’au XVIème siècle. Elle rassemblait un ensemble d’axes caravaniers qui traversaient l’Europe et l’Asie, allant de la Méditerranée jusqu’à la Chine en traversant l’Asie Centrale.

L’histoire raconte que ce sont des animaux qui ont été la motivation première pour développer cette route devenue légendaire : la Chine des Han avait besoin de chevaux grands et forts pour repousser les tribus nomades venues du nord. « Ils avaient entendu parler de chevaux centrasiatiques qu’ils prenaient pour des cousins éloignés des dragons car ils étaient connus pour transpirer du sang » explique Saidjon, guide touristique en Ouzbékistan, centre névralgique de la Route de la Soie. Plus qu’une parenté à une espèce animale mythologique, cette sudation de couleur brun-rouge témoigne vraisemblablement d’une infestation parasitaire banale. « A l’époque, cette espèce véloce et rustique avait déjà la réputation de supporter les températures extrêmes de l’Asie Centrale. Ils ont alors commencé à les troquer contre de la soie et la route de la soie est née ! ». Il se dit que pour transporter toutes les soies, épices et pierres précieuses, les caravanes regroupaient parfois plus d’une centaine de chameaux. A ces bossus s’ajoutaient la plupart du temps d’autres poilus, tels que chevaux, moutons et chiens qui étaient échangés, vendus, achetés ou offerts tout au long du périple qui durait des mois.

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Au temps de la Route de la Soie, les chameaux étaient les stars des caravanes (mosaïque murale, Khiva, Ouzbékistan)

Tout comme les caravanes marchandes d’il y a 1000 ans, nous avons dû, pour réaliser notre projet, affronter les redoutables montagnes du Pamir et l’interminable désert du Karakoum, bivouaquer sous les étoiles turkmènes et nous ravitailler dans les bazars des cités mythiques de Boukhara et Samarkand. Les voyageurs du passé redoutaient certaines portions de la Route de la Soie sur lesquelles circulaient des histoires effrayantes de démons qui égaraient les voyageurs et de brigands armés qui les dépouillaient. Aujourd’hui, les pires dangers ont bien changé : gare aux crocs des chiens errants et aux pare-chocs des voitures ! Après 4 mois de suées, nous avons réussi à boucler notre parcours avec près de 5000 kilomètres au compteur et plus de 200 heures de vidéo.

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Bas-relief représentant des délégations étrangères venues saluer le roi Darius (Persépolis, Iran)

Les plus anciens témoignages significatifs de l’interaction entre l’homme et l’animal nous ont été dévoilés dans la ville mythique de Persépolis, lovée au sud de l’actuelle Iran. Bien que partiellement détruite par Alexandre le Grand au IIIème siècle avant J.C., Persépolis offre cependant quelques vestiges du passé. Sur les fabuleux bas-reliefs du palais Apadana construit au pied de la montagne Kuh-e Rahmat, nous y retrouvons de splendides chameaux, chevaux et moutons apportés par des délégations du monde entier venues saluer le roi Darius et contribuer à ses richesses. Pour l’anecdote, lorsqu’Alexandre le Grand met à sac la cité perse en 331 av. J.C., ce n’est pas moins de 300 chameaux qui lui sont nécessaires pour emporter tous ses trésors !

Animaux et traditions

Lors de nos recherches préliminaires, nous avons rapidement compris que l’Asie centrale conservait de nombreuses traditions dans lesquelles l’animal, le cheval en particulier, joue un rôle prépondérant. Bien que les nouvelles « générations smartphone » s’en détachent progressivement, les traditions équestres restent extrêmement populaires que ce soit au Kirghizstan, au Tadjikistan, en Ouzbékistan ou au Turkménistan.

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Festival At-Chabysh à Murghab en plein coeur du Pamir (Tadjikistan)

Pour s’en rendre compte, il suffit de se rendre à Murghab, un petit village de 4000 habitants perché à 3650 mètres d’altitude dans le Pamir oriental, et de s’imprégner de l’effervescence locale faisant du festival At-Chabysh un événement incontournable de l’automne, auquel nous avons eu la chance d’assister aux côtés d’une confrère Tadjike. Il nous est apparu très clairement que les chevaux ont une place à part dans la société centrasiatique : la très grande majorité de ceux que nous avons pu observer au cours de notre expédition sont choyés et en très bonne santé, à l’inverse de leurs cousins aux longues oreilles qui arborent souvent des cicatrices, portent des charges trop lourdes et ont le poil piqué. Les chevaux du festival At-Chabysh ne dérogent pas à la règle : incroyablement élancés et vigoureux, ils sont les héros de toutes les activités.

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Il est dopé, celui-là ? Contrôles vétérinaires au festival At-Chabysh (Murghab, Tadjikistan)

Après être passés entre les mains du vétérinaire qui s’assure que les chevaux sont en condition physique suffisamment bonne pour participer aux épreuves, qu’ils ne boitent pas et qu’il n’y a pas de fraude, les festivités peuvent commencer ! Alors, les ovations explosent dans la vallée que ce soit lors de l’Oodarysh (lutte à cheval) ou du Tiyin ainmey, une épreuve d’agilité où le cavalier, lancé au grand galop, doit ramasser des fanions disposés le long du parcours. Mais l’épreuve reine du festival est le Kyz-kuumai. Hilarant et assurément animé, ce jeu oppose une cavalière à un cavalier lancés au triple galop, l’homme ayant pour objectif d’embrasser la femme. Ils y vont de bon coeur mais les jeunes cavalières sont loin de se laisser faire ! A son tour, elle coursera le-dit prétendant à coup de cravache ! Au-delà du divertissement, le Kyz-kuumai est une occasion rare où les femmes se prouvent l’égale de l’homme en montrant qu’elles aussi peuvent maitriser des chevaux nerveux et puissants, activité habituellement exclusivement réservée aux hommes. Durant l’été, de tels festivals sont très répandus dans toute l’Asie centrale et contribuent au maintien des traditions culturelles ancestrales.

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Le Kyz-kumai est une des épreuves les plus populaires du festival de traditions équestres At-Chabysh (Murghab, Tadjikistan)

Qui s’est intéressé un tant soit peu à l’Asie centrale a sans doute entendu parler du Buzkachi, magnifiquement illustré dans l’épopée de Joseph Kessel « Les Cavaliers ». Il s’agit d’un sport assez violent mais très populaire où les hommes et leur monture ne font qu’un et se disputent dans une mêlée confuse un cadavre de mouton décapité. Nous avons longtemps espéré que nos pérégrinations nous conduiraient au bon endroit au bon moment. Malheureusement, nous n’avons jamais pu assister en personne à un tel événement, il faudra revenir !

Lire aussi : At-Chabysh, le festival du cheval Kirghize au Tadjikistan (Novastan)

Plus difficiles à maintenir sont des traditions autrefois nécessaires à la survie des populations et aujourd’hui le plus souvent pratiquées uniquement pour le loisir. La chasse à l’aigle en fait partie. Longtemps considérée comme le sport favori des dirigeants d’Asie centrale, elle n’est maintenant pratiquée que par quelques centaines de Kazakhes et de Kirghizes distribués au Kazakhstan, au Kirghizstan, en Chine et en Mongolie.

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En Asie centrale, la chasse à l’aigle royal ou au faucon est une activité traditionnelle encore pratiquée pour le loisir (Karakol, Kirghizstan)

Ruslan est l’un d’eux. Sur les bords du lac d’Issyk-Koul au Kirghizstan, il souhaite nous introduire auprès de ses deux aigles royaux aux yeux perçants et aux serres acérées, Karakus (Œil noir) et Karachin (Plume noir). Au milieu des glapissements ininterrompus de ses deux compagnons, il nous raconte : « La saison de chasse, c’est l’hiver. Monté sur mon cheval et armé de mon aigle, je pars des journées entières dans les montagnes et pour y chasser les biches et les lapins pour leur viande. Je chasse aussi les renards, les chacals et les loups pour leur fourrure, mais je donne leur viande à mes aigles. En été, je continue à les entrainer et essaie de faire vivre cette tradition en la promouvant auprès des touristes ». Les deux aigles sont perchés sur une branche dans deux volières aux barreaux en bois, relativement spacieuses. Ils sont magnifiques, c’est évident. Nous avons même l’honneur d’enfiler le gant pour porter Karakos que Ruslan a tranquillisé en lui enfilant sur la tête son chaperon, un cache en cuir destiné à lui bloquer la vue.

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Karakos est un aigle chasseur femelle de 8 ans qui a été capturée par Ruslan quand elle avait deux (Bokonbayevo, Kirghizstan)

Quand nous le félicitons pour la beauté de ses aigles, Ruslan rigole et nous avoue que c’est parce qu’ils sont uniquement nourris avec des « produits frais ». Il nous amène alors dans le fond du jardin et nous dévoile ainsi ses lapins élevés uniquement au profit de ses deux aigles. Etant au mois de juillet, nous n’aurons pas la chance de voir Karakos s’élancer du poing de Ruslan dans son élément. Mais approcher de si près ces oiseaux si majestueux est déjà une grande récompense, d’autant plus que ces pratiques commencent à se faire rares. En effet, même si son œil pétille en évoquant son art, Ruslan ne peut s’empêcher de se désoler que les jeunes s’en désintéressent de plus en plus au profit de loisirs modernes et moins exigeants.

Lire aussi : En Mongolie, chez les Kazakhs fils de l’aige (Le Monde)

L’élevage en Asie centrale

Tous les jours de l’expédition, que nous pédalions, marchions ou nous reposions, nous avons pu interagir avec des animaux de rente, c’est-à-dire des animaux élevés pour produire des denrées utiles à l’homme : les chevaux sont élevés pour leur lait et comme moyen de locomotion ; les vaches et les yaks pour leur lait, leur viande et leur cuir ; les moutons et les chèvres pour leur viande, leur gras (quelle odeur mais quelle saveur !) et leur laine. Au Kirghizstan, le lait de jument est utilisé pour produire la boisson nationale que peu de touristes peuvent se vanter d’apprécier : le koumis. Il s’agit de lait fermenté au goût fort et parfois fumé, que nous avons vu vendu sur les bords de toutes les routes, surtout en zone de montagne. Franchement, lorsque dévisser le bouchon de la bouteille en plastique qui le contient provoque un dégazage bruyant, il faut être bien intrépide pour oser en boire. Mais les kirghizes en raffolent ! Ils peuvent boire un litre entier en cinq minutes s’ils ont soif. Nous avons trouvé ça étonnant, nous chez qui une seule petite gorgée nous a provoqué des désagréments gastriques pendant 2 jours. Pas l’idéal sur un vélo !

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A Song-Kol, les juments sont traites pour fabriquer du koumis, une boisson très populaire faite de lait fermenté (lac de Song-Kol, Kirghizstan)

De tous les pays que nous avons traversés, le Kirghizstan est sans aucun doute celui au climat le plus favorable à l’agriculture. A l’inverse de chez nous, rares sont les éleveurs spécialisés dans l’élevage d’une seule espèce. Typiquement, ils possèdent à la fois des moutons, des chèvres, des vaches et des chevaux. Nous avons toujours été étonnés d’entendre que les éleveurs sont considérés comme une des classes les plus riches de la population. Akjol, le vétérinaire que nous avons déjà présenté, nous l’a expliqué : « Même si les familles vivent le plus souvent dans des conditions misérables, isolées dans la montagne, et n’ont à offrir au visiteur que du thé et des tartines de beurre, leur patrimoine sur pied s’élève souvent à des milliers d’euros, ce qui représente une somme colossale dans les pays d’Asie centrale ». En effet, si un berger a besoin d’argent pour une dot, un mariage ou un enterrement, il n’aura qu’à se rendre au marché aux bestiaux avec quelques animaux. Si ses moutons sont bien conformés, c’est-à-dire s’ils ont une croupe bien grasse et généreuse, il pourra espérer les vendre pour 3500 soms (soit environ 50 euros) par tête.

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Les familles nomades Kirghizes passent l’été sur les haut-plateaux, comme ici autour du lac de Song-Kol (Kirghizstan)

Le prix du foin étant trop élevé, beaucoup d’éleveurs quittent les plaines de mai à septembre et montent leurs campements de yourtes puis leurs troupeaux sur les immenses prairies d’altitudes, comme autour du lac de Song-Kol. Sur ces étendues infinies, les animaux se repaissent en semi-liberté d’herbe grasse, abondante et gratuite. Ils redescendront des alpages à l’automne, lorsque les températures commenceront à devenir négatives, bien plus gras que s’ils étaient restés dans la plaine. Pour arrondir leur fin de mois sur les plateaux d’alpage, de plus en plus de bergers louent une de leurs yourtes à des touristes venant en nombre croissant profiter du calme et de la sérénité de Song-Kol. Certains bergers ont même cessé leur activité pour se consacrer uniquement à l’accueil des touristes, activité bien plus lucrative !

Lire aussi : A Song-Kol, la transmission du métier de berger (Novastan)

Dans les hauts plateaux du Pamir perchés à plus de 4000 mètres d’altitude, les températures sont souvent négatives, même en plein été. Mais malgré l’hostilité du climat, l’élevage ne disparait pas. Bien que nous ayons pu observer quelques troupeaux de chèvres et de moutons, il s’agit le plus souvent de troupeaux d’une dizaine de yaks supportant plus facilement l’altitude et les températures extrêmes que les vaches ou les chevaux. Quel plaisir, au cours d’une longue journée de vélo sur les pistes cabossées du Pamir, de pouvoir savourer un thé chaud accompagné d’une tartine recouverte d’une épaisse couche de beurre, de crème ou de fromage de yak !

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Le yaourt et le beurre de yak, ça nourrit ! (Route du Pamir, Tadjikistan)

Cependant, ne pouvant se mettre sous la dent que les rares buissons ayant réussi à pousser, les yaks sont souvent dans un pauvre état de santé. En effet, le déficit alimentaire entraine une faiblesse du système immunitaire des animaux, surtout des jeunes, qui sont alors plus sensibles aux agressions bactériennes, virales ou parasitaires. Ainsi, nombreux sont les yaks que nous avons vus maigres, le poil piqué, la goutte au mufle ou souffrant de diarrhées chroniques profuses. Malheureusement, du fait de l’isolement de ces troupeaux de montagne parfois situés a plusieurs jours de voiture du vétérinaire le plus proche, les perspectives d’amélioration ne sont pas bien grandes.

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Si les yaks adultes se portent généralement bien, les plus jeunes souffrent souvent de graves infestations parasitaires (Route du Pamir, Tadjikistan)

Bien que la majorité des éleveurs centrasiatiques ne possèdent que des petits troupeaux qu’ils élèvent de manière extensive voire de manière nomadique, des élevages intensifs commencent à se développer autour des grandes agglomérations et permettent la commercialisation de produits laitiers transformés de haute qualité sanitaire, tels que le lait U.H.T. ou les yaourts au lait stérilisé, dont la demande ne cesse d’augmenter. Dans la banlieue de Douchanbé, au Tadjikistan, Nazarbek gère un élevage d’une centaine de vaches laitières. Pour développer son entreprise, Nazarbek n’a pas lésiné : « Mon troupeau est composé de races locales croisées avec les meilleures races européennes dont j’importe la semence de France. Ainsi, elles sont adaptées au climat local et produisent beaucoup plus que leur cousines pur-sang ! » Et en effet, ça paye ! Dans la salle de traite qui fonctionne à plein régime, deux techniciens s’activent. Les vaches y passent par douze et produisent jusqu’à 20 litres par jour, une performance qui n’a rien à envier aux élevages de chez nous. En déambulant dans les hangars, on peut ainsi admirer des Prim’Holstein, mais aussi des Brunes, des Simmental et des Tarentaises. Jamais on n’aurait imaginé réviser nos races bovines au Tadjikistan !

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Autour des grandes agglomérations centrasiatique, on peut parfois croiser des Prim’Holstein et des Simmental (Douchanbé, Tadjikistan)

Le chien, un animal à part

Bien que l’Asie centrale soit considérée comme le berceau de la domestication du chien, le plus grand ami de l’homme n’y endosse que très rarement le rôle d’animal de compagnie. Le chien joue cependant un rôle primordial dans la société rurale centrasiatique car il est un partenaire essentiel des bergers pour défendre les troupeaux, notamment de chèvres et de moutons.

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Les chiens de berger ont souvent les oreilles et la queue coupée pour ne laisser aucune prise au loup ! (Mazdavand, Iran)

Farrukh possède un troupeau de 1000 moutons et chèvres qu’il emmène pâturer tout l’été en altitude dans les Monts Fan, au nord-ouest du Tadjikistan. « Si je n’avais pas mes cinq chiens, les loups et les chacals décimeraient mon troupeau », nous raconte-t-il. Pour appuyer son propos, il nous désigne un de ses molosses qui, nous raconte-t-il, s’est battu contre un loup deux nuits auparavant. Armé d’un collier cerclé de clous, la queue et les oreilles coupées et une plaie encore non cicatrisée lui barrant la face, l’impression est vive ! Mais en présence du berger, les chiens sont d’une passivité exemplaire. Faisant souvent du zèle et cherchant sans doute le divertissement, les chiens de bergers ont été sans conteste notre frayeur de cycliste numéro un : combien de records de vitesse n’avons-nous pas réalisés en sentant l’haleine des molosses sur nos mollets… Il ne ferait clairement pas bon s’aventurer près d’un troupeau pendant la nuit ! Puisqu’ils sont les garants de la sécurité du troupeau et donc du patrimoine de son maitre, les chiens de berger ont un statut à part. Ils sont très bien nourris, dorment au chaud dans la tente avec le berger (et réchauffent le berger par la même occasion) et si leur état de santé se dégrade, l’éleveur est prêt à casser sa tirelire pour l’amener chez le vétérinaire.

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Farrukh possède un troupeau de 1000 moutons et 5 chiens pour les protéger contre les loups et les chacals (Monts Fan, Tadjikistan)

En Iran, le chien a mauvaise réputation car il est désapprouvé par le pouvoir religieux en place, l’Ayatollah Khamenei étant allergique aux poils de chien. Il est par exemple interdit de se promener dans un lieu public avec un chien en laisse. Quiconque est surpris par la police en compagnie d’un chien se le voit tout de suite confisqué et a peu de chance de le revoir. En conséquence, les quelques chiens de compagnie restent cloitrés dans les appartements des grandes villes iraniennes, les populations méprisent les chiens, les enfants en ont peur et les quelques chiens errants sont dans des états déplorables, rongés par les parasites.

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Les chiens n’ont pas bonne réputation en Iran, mais des associations comme le Mehr Animal Shelter tentent de les réhabiliter (Machhad, Iran)

Pour remédier à cette situation, de plus en plus de refuges pour chien voient le jour. Lors de nos visites aux refuges de Machhad et d’Amöl, nous avons compris que ces refuges n’existent que grâce à la passion, au courage et au dynamisme d’une poignée de volontaires parfois raillés voire marginalisés par la population, mais toujours ultra-motivés ! Des écoles de la nature commencent aussi à ouvrir leurs portes pour permettre aux enfants des villes d’interagir avec toute sorte d’animaux dont les chiens.

Epilogue

En tant que vétérinaires, la diversité des types d’interaction entre hommes et animaux nous captive. En tant que citoyens du monde, la diversité culturelle nous émerveille. En conséquence, ces quelques mois passés à pédaler en Asie centrale à la recherche de témoignages sur la relation entre l’homme et l’animal nous ont passionnés. Quatre mois de vie nomadique pour un sujet si complexe, c’est court ! Il faudra sans doute encore quelques mois, voire quelques années pour bien apprécier la portée de nos observations et des témoignages recueillis. Ce que nous souhaitons faire maintenant à travers ce court article et les futures actions que nous allons mener, c’est témoigner, avec notre œil de vétérinaire, de ce que nous avons pu entr’apercevoir de cette culture centrasiatique étonnante, en racontant le quotidien de tous ces hommes et ces femmes exceptionnels que nous avons eu la chance de rencontrer.

Akjol, Saidjon, Ruslan, Nazarbek, Farrukh, Laleh, Hossein et tous les autres, merci de nous avoir initiés à quelques mystères de vos pays respectifs. Continuez à faire vivre vos traditions, à pousser les filles à monter à cheval, à prévenir les épidémies de fièvre aphteuse, à réhabiliter les chiens dans la culture iranienne, à produire du beurre de yak et à en offrir aux cyclistes de passage. Par contre, n’hésitez pas à boire votre koumis !

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Après environ 5000km passés à pédaler en Asie centrale, nous arrivons enfin à Téhéran, étape finale du projet (Téhéran, Iran)

Si vous avez aimé notre aventure, faites-vous Marco Polo et partez, vous aussi, parcourir l’Asie centrale en voiture, à pied, à vélo ou à dos de chameau, et revenez témoigner de l’histoire du monde par votre expérience !

N’hésitez-pas à nous suivre sur Facebook pour vous tenir au courant de nos prochaines actions !

Pendant l’expédition, nous avons réalisé cinq court-métrages illustrant une journée de vélo dans chacun des pays traversés. Vous pouvez les retrouver ici.

Le Vélo de la Soie en Iran

Entrer en Iran a été pour nous comme repartir de zéro. Du moment où notre visa a été tamponné, il nous est devenu impossible de déchiffrer la moindre inscription. L’alphabet farsi étant le même que l’alphabet arabe, la moindre mission (trouver un café ou s’assurer d’une direction) est devenue bien plus difficile que dans les pays précédents où trois mois de pratique de l’alphabet cyrillique nous avaient largement rendus autonomes. Comme la langue russe était comprise dans tous les –stans que nous avions traversés, changer de pays à la vitesse du vélo ne nous avait jamais paru être trop dépaysant. Nos « kakvaszavout », « yaniépanimayou » et « skolka » faisaient sourire le Tadjike du Pamir tout comme le Turkmène du désert. Mais en Iran, ils n’ont plus servis à rien. Il a fallu donc les oublier brutalement pour apprendre les « Ismetchomotchist », « Farsinemefahman », « tchande » et autres farsitudes, et ca n’a pas été une mince affaire !

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Grosses frayeurs sur la rocade de Mashhad…

Qui a déjà pédalé sur les routes iraniennes garde sans aucun doute un souvenir ému de quelques brusques poussées d’adrénaline dues à la conduite « sportive » de la grande majorité des automobiliste doublant indistinctement par la droite ou par la gauche et tout aussi à l’aise dans le sens du trafic ou l’inverse. De plus, l’iranien étant très amical et généreux, il n’est pas rare d’être accompagné par un nuage sonore continu de klaxons qui se veulent encourageants, ou stoppé net dans son élan par quelque iranien adepte de la queue de poisson et voulant prendre des selfies avec les touristes fadas ou les inviter à passer la nuit chez eux. Faire du vélo en Iran est donc un danger de tous les instants, à tel point que nous pourrions le classer dans les trois plus grandes frayeurs du projet !

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Masoud, notre hote a Gombad, veut a tout prix nous initier aux costumes traditionnels turkmenes.

Dans les précédents pays, nous étions habitués à camper la plupart du temps au milieu de nulle part. Ici, c’est différent. Pour éviter les centaines de kilomètres monotones de désert et ses baisses de moral inhérentes que nous avons déjà expérimentées en Ouzbékistan et au Turkménistan, nous avons décidé de rejoindre Téhéran par le nord via la route de la Caspienne. Mais cette route est très urbanisée. Passé le luxuriant parc du Golestan, les forêts disparaissent et seuls quelques champs de riz ou de tabac séparent la succession ininterrompue d’agglomérations. Ne souhaitant pas nous exposer inutilement à des désagréments nocturnes rendus plus probables par une densité humaine élevée, nous acceptons donc la plupart du temps les invitations. C’est ainsi que l’Iran est devenu pour nous (comme pour tous ceux qui le traversent) la capitale de l’hospitalité. Que ce soit Mo, Zeynab, Davood, Hosein ou Masoud, chaque rencontre a été riche en enseignements, anecdotes, litres de thé et parfois Arak Saghi (liqueur locale) ! Spéciale dédicace à Layan, le cousin d’Anahita avec qui Timothée a partagé ses bancs du lycée, qui nous a reçus à Amöl comme des princes.

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Il est 6h, on se leve !

Et puis un matin, on se réveille et c’est le dernier jour. Plus que 80 kilomètres à pédaler, soit 1.7% de ce qu’on a déjà fait. Après 18 mois de préparation et presque quatre mois sur la route, on va poser les vélos ce soir. Quel soulagement de ne plus devoir se lever à l’aube pour éviter les grosses chaleurs, faire des pauses tous les 20 kilomètres et monter et démonter la tente tous les jours ! On va enfin pouvoir arrêter d’avoir mal aux fesses et de sentir mauvais des pieds, se nourrir d’autre chose que de kiri et de pain sec et voir les copains et la famille quand on le souhaite. Cette euphorie passée, on ferme les yeux. Les images se bousculent, débordent et nous inondent le cœur. On ne peut s’empêcher de soupirer en sentant s’éloigner les nuits passées sous le ciel Kirghize constellé d’étoiles, le givre des haut-plateaux du Pamir qui crisse sous les roues au lever du soleil, les heures infinies passées sur les vélos à rêver et faire des projets, le soleil couchant sur les champs de coton, notre liberté sans limites, nos nouvelles amitiés créées en partageant quelques conseils de cyclos ou un millier de kilomètres (spéciale dédicace pour Andy et Clare) et les dizaines de personnes qui nous ont ouverts leur cœur ou leur maison et laissés partager une petite partie de leur routine si différente de celle qui nous attend. Notre mélange de sentiments est donc compliqué et il va sans doute falloir un peu de temps pour les démêler. Mais une chose est sure, c’est qu’il nous tarde de venir vous les raconter ! A très bientôt !

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Les derniers metres a Teheran apres pres de 5000 kilometres a velo a travers l’Asie centrale !

Le Vélo de la Soie au Turkménistan

En 2006, le Turkménistan a été classé par Reporters Sans Frontières avant-avant dernier pays au classement mondial de la liberté d’expression, derrière la Corée du Nord et le Myanmar. De plus, presque les trois-quarts des cyclos que nous avons croisés au Kirghizstan, au Tadjikistan ou en Ouzbékistan nous ont avoués avoir vu leur demande de visa d’entrée au Turkménistan refusée. Pour ceux qui, comme nous, ont la chance d’avoir eu leur demande acceptée, ce n’est qu’un permis de cinq jours (ou moins) qui leur est délivré, le fameux “visa de transit”. Nous étions donc un peu angoissés à l’idée de traverser ce pays.

Dès notre entrée dans le pays, notre angoisse est dissipée. A peine posons-nous le pied à Turkmenabad pour consulter la carte, qu’une nuée d’écoliers, les filles en tunique verte et les garçons en uniforme, se jettent sur nous pour prendre des selfies et nous assaillir de questions en anglais. Toutes les rencontres que nous avons faites par la suite dans ce pays ont été à l’image de ces écoliers : pleines de dynamisme et de curiosité.

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Bain de foule étudiante a Turkmenabad

Parce qu’Achgabat, la capitale du pays, est décrite par le Lonely-Planet comme une ville à mi-chemin entre Las Vegas et Pyongyang, nous décidons de prendre un train pour nous y rendre, puis de reprendre les vélos pour pédaler en trois jours les 370 km de la capitale au poste de frontière. Ça ne nous laisse pas trop la place à l’erreur, mais le détour semble en valoir la peine.

Achgabat est une ville neuve, sortie des ruines fumantes de la précédente Achgabat qui fut littéralement rayée de la carte en 1948 par un gigantesque tremblement de terre qui aurait tué 176000 personnes le plaçant en neuvième position des tremblements de terre les plus meurtriers de l’histoire. Sous l’influence mégalomaniaque de son précèdent président, Achgabat est une ville supra moderne à l’architecture délirante. Elle est citée dans le Guinness book des records pour être la plus grande concentration de bâtiments construits en marbre blanc ! Cela dit, on n’a pas pu en profiter pleinement car beaucoup d’avenues étaient fermées à la circulation, mais ce qu’on en a vu valait le détour ! Peu de photos peuvent en témoigner car il est malvenu de photographier les bâtiments publics, sous peine d’amende ou d’emprisonnement…

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Achgabat est une oasis de marbre, d’or et électricité perdue en plein milieu du désert

Notre venue à la capitale était aussi motivée par la visite d’un haras d’Akhal-Teke, sans doute la plus ancienne race de cheval au monde (titre contesté par les pur-sang arabes). Réputée pour sa rapidité, sa beauté et son caractère difficile, cette race fait la fierté du Turkménistan. Certains se souviendront du scandale médiatique soulevé par l’Akhal-Teke offert par le président Turkmène de l’époque à Mitterrand, que ce dernier aurait gardé caché dans une de ses résidences à des fins personnelles. Tout excités à l’idée d’admirer enfin ces chevaux légendaires, nous nous rendons à 40 km au nord de la capitale aux portes du haras censé abriter les plus beaux spécimens. Malheureusement, il semble que nous ayons visé un peu trop haut. Malgré un sitting de trois heures, on refuse de nous laisser passer. Le site est bien gardé. On nous fait comprendre que pour rentrer, il faut une invitation spéciale délivrée par le gouvernement. Il s’agit en fait du plus gros complexe du pays dédié à l’Akhal-Teke et financé par le président à hauteur de 100 millions de dollars. N’ayant bien évidemment pas de laissez-passer, nous nous avouons finalement vaincus et nous résignons à reprendre nos vélos, extrêmement déçus.

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Trois heure d’attente… pour rien !

Nos 370 km à vélo d’Achgabat à la frontière iranienne ont été un calvaire. Pédaler dans la montagne, passer des cols, suer dans les montées, hurler dans les descentes, c’est rigolo ! Mais pédaler sur des routes goudronnées plates et droites quand l’horizon est vide et que seules des étendues de désert ou de champs de coton nous entourent, c’est mortellement ennuyant ! Bref, notre moral en a pris un coup, mais on a serré les dents, chanté des chansons et fini par atteindre Saraghs et entrer en Iran. Ouf !

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Vivement l’Iran !

La Nature, ça assure !

Nous sommes aujourd’hui à Mashhad, la 2eme plus grande ville d’Iran avec ses 3 million d’habitants. En banlieue de cette ville bourdonnante d’activité se trouve une école toute particulière, où les cris des enfants se mêlent aux bêlements des moutons et aux aboiements des chiens, où les pots de peinture se mélangent aux flaques de boue et où le feuillage des arbres cache des cabanes suspendues. Bienvenue au cœur de la Kavikonj Nature School ou « l’école de la nature », la première du genre dans le pays !

A l’heure actuelle, plus de 75% des Iraniens vivent dans les zones urbaines. Comme partout ailleurs, les générations nouvelles naissent et grandissent avec internet, jeux vidéos, ordinateurs, tablettes et smartphones. Dès le plus jeune âge, on « twitte », on « facebooke », on « instagrame » ou encore on « telegrame ». De nos jours, l’utilisation frénétique des réseaux sociaux et l’utilisation des plus modernes technologies font oublier aux enfants le gout de la découverte, le respect de la nature et de l’environnement.

Ecologue iranien, Hossein Vahabzadeh (TEDx en farsi) est le fondateur de la Kavikonj Nature School. Cette école est pour lui un moyen de reconnecter les enfants avec le monde naturel. « Un nombre croissant d’études montrent que le contact avec la nature a beaucoup d’influence sur le développement. Les enfants qui jouent souvent en plein air ont une meilleure capacité de concentration, de meilleures fonctions cognitives et une meilleure créativité » nous explique-t-il. Ici la curiosité est reine, d’ailleurs le nom de l’école parle de lui-même, intervertissez les syllabes du mot « Kavikonj » et cela devient « Konjkavi », ce qui signifie « curiosité » en Perse.

Dans cette école, les enfants sont libres d’interagir librement avec la nature et leur environnement, c’est à dire l’eau, le sol, la pierre, la chaleur et le froid, les plantes, les insectes et les animaux. « Ici, ils ont l’opportunité de vivre des expériences qu’au fond d’eux ils appréhendent peut-être. Lorsqu’ils arrivent ici, certains de nos élèves n’ont encore jamais interagit avec un chien, même à l’âge de 8 ans ! Nous les laissons décider de leurs activités sur la base de leur propre motivation.» Certains préfèrent courser les brebis alors que d’autres préfèrent le calme du potager et faire pousser des légumes. « L’important est qu’ils apprennent par eux-mêmes via l’observation et l’expérience !»

Hanieh est facilitatrice à l’école de la nature. Son rôle est d’observer les enfants afin qu’aucun ne se blesse ou ne blesse autrui. Elle donne parfois des indications aux enfants pour exécuter une tache mais seulement s’ils le lui demandent. En aucun cas, elle ne doit interférer avec les activités des enfants.« Lorsqu’ils arrivent à l’école, les enfants sont souvent très effrayés par les animaux. Cela se comprend ! En ville, ils n’ont pas l’habitude d’en voir et encore moins d’en approcher. Ici, ils apprennent à diriger les moutons vers leur enclos, a nourrir les lapins, etc. Ils comprennent enfin d’où viennent le lait et les œufs ! » nous raconte Hanieh. Certains animaux ont mauvaise réputation en Iran. Par exemple, les superstitions racontent que les chiens transmettent des maladies via la salive et qu’il ne faut donc pas être en contact avec eux. Les chiens sont donc la plupart du temps rejetés par la société et condamnés par la religion.« Ici, c’est différent. Nous voulons faire comprendre aux enfants que les chiens sont de formidables animaux de compagnie. Les enfants apprennent d’eux-mêmes à les approcher, à les caresser. C’est un superbe moment lorsqu’après des jours d’apprivoisement, on les voit enfin jouer ensemble sans aucune frayeur ! »

L’école de la nature est vue comme une méthode d’éducation complémentaire en Iran. Les parents y inscrivent leurs enfants comme dans un centre d’éducation pré- ou péri-scolaire. Aujourd’hui, le concept d’école de la nature est un immense succès en Iran. On y trouve aujourd’hui près de 20 écoles et leur nombre ne cesse d’augmenter !

Alors si vous aussi vous avez soif de découvertes et d’expériences nouvelles, soyez un peu Kavikonj et prenez le grand air !!

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En Iran, les chiens ont mauvaise réputation.

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Entretien avec Hossein Vahabzadeh, le fondateur de la première Nature School en Iran.

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Ici, les enfants peuvent manipuler toute sorte d’animaux.

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Pour Kavikonj, hip, hip, hip… HOURRA !!!

Le Vélo de la Soie en Ouzbékistan

Elles ont inspiré de grands poètes, évoquent la magie de l’Orient et symbolisent la réussite de la Route de la Soie. Quelles villes dans le monde ont inspiré plus de voyageurs que les grandes cités d’Ouzbékistan telles que Samarcande, Boukhara et Khiva ? Après une immersion sauvage de deux mois dans les natures kirghize et tadjike, rien ne nous faisait plus plaisir que de nous frotter à un peu de culture. Ces trois semaines en Ouzbékistan ont été pour nous comme une bouffée d’oxygène nous sortant de la routine animaux, vélo, montagne, piste, immensité, dodo.

Les étapes cyclistes n’ont pas été aisées. Si le Pamir a présenté une difficulté physique certaine du fait de la mauvaise qualité des routes, de l’altitude et des importants dénivelés, l’Ouzbékistan`nous a clairement fait souffrir psychologiquement ! L’Ouzbékistan est un désert. Il y fait chaud (jusqu’à plus de 40 degrés parfois), les routes sont plates et droites  sur des centaines de kilomètres et les paysages ne changent pas. Les heures passées à vélo nous ont donc souvent paru très longues ! Au total, nous aurons pédalé dans le pays près de 900 kilomètres de la frontière tadjike à la frontière turkmène en faisant étape à Samarcande et Boukhara. On a beaucoup râlé, mais il faut quand même reconnaitre que les routes y sont de bien meilleure qualité qu’au Tadjikistan, nous permettant souvent d’avancer à une vitesse moyenne dépassant les 20 km/h. Impensable au Tadjikistan, même pas en rêve ! Heureusement pour notre moral, Andy et Clare (nos potes cyclistes anglais) nous ont fait le plaisir de se joindre à nous pour la deuxième section, la rendant plus facile à digérer. Comme vous l’aurez compris, alors qu’au Tadjikistan le plaisir résidait dans les étapes de vélo, nous avons pris notre pied en Ouzbékistan dans les étapes de repos !

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Il fait parfois si chaud que nous sommes obligés de pédaler a poil. Pari “tout-nu” !

Rapidement, nous remarquons que l’hospitalité Ouzbèke est un peu en deçà de celle de ses voisins tadjikes ou kirghizes. En creusant un peu, nous apprenons que, pour accueillir un étranger, l’hôte doit être en possession d’une autorisation délivrée par le gouvernement en échange d’une taxe que seuls les hôtels peuvent se permettre de payer. Rectifions donc : le peuple ouzbèke est très chaleureux mais les étrangers doivent être surveillés de près (il est très difficile pour les journalistes étrangers d’obtenir un visa d’entrée).

Notre arrivée à Samarcande a sans doute été un des moments les plus excitants et émouvants de notre (courte) vie de voyageur. En préparant ce projet, nous avons rêvé de cette ville mythique de la Route de la Soie pendant des mois, s’imaginant que le jour où nous pourrions pédaler autour des madrasas colorées du Registan n’arriverait jamais. Et pourtant, le 18 septembre 2016, nous y sommes entrés et les jours suivants, l’avons dévorée. Bien que controversée car n’abritant plus beaucoup de ruines authentiques, Samarcande a le mérite de présenter avec fierté ses haut-lieux historiques tels qu’ils furent probablement  au temps de son apogée. Nous apprécions les mosaïques compliquées et l’architecture timouride (reproduites) mais sommes un peu déroutés par les hordes de touristes. Nous sourions en nous rappelant que nos parents croient que nous sommes des pionniers, vivant le danger à chaque instant entourés de terroristes ! Boukhara et Khiva sont des lieux tout aussi magiques, mais présentant l’avantage d’être plus petits donc plus calmes. Les grandes cités ouzbèkes ayant joué un rôle crucial au temps de la Route de la Soie, nous faisons le plein d’information sur ces routes commerciales entre l’Orient et l’Occident et sur le rôle joué par les animaux dans leur développement.

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A la découverte des mosquées, madrasas et palais ouzbèkes avec Andy et Clare.

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Une madrasa a Samarcande.

Souhaitant observer de nos propres yeux un des plus importants désastres écologiques du XXème siècle, nous décidons de filer vers le nord et de nous rendre à Moynaq, une petite ville de pêcheurs de laquelle la mer d’Aral s’est éloignée de 170 kilomètres en 50 ans. Cette escapade, dont le trajet aura duré deux fois plus longtemps que notre séjour sur place, restera sans aucun doute un des moments les plus forts de cette expédition. Pour ceux qui viennent de nous rejoindre, nous l’avons déjà racontée ici.

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Pour irriguer les champs de coton, l’homme a asséché la mer d’Aral.

Si tout se passe bien, nous entrons demain au Turkménistan, un des pays les plus fermés au monde. Nous avons le droit de n’y rester que cinq jours. Sera-ce suffisant ?

Mer de sable à Moynaq

Une fois n’est pas coutume : après avoir pédalé de Samarcande à Boukhara, nous décidons de laisser nos vélos sur place pour traverser 800 kilomètres de déserts et nous aventurer pour quelques jours dans le nord de l’Ouzbékistan. A 9h du matin, nous nous installons dans un taxi collectif à la gare routière de Boukhara. Les kilomètres défilent sur une route à moitié goudronnée au son d’une techno russe de mauvaise qualité. Le paysage se résume à un désert plat de pierres et de broussailles éparses. Le soleil est implacable. Nous sommes contents d’avoir troqué momentanément nos deux roues contre quatre. Nous changeons deux fois de voiture et de compagnons de route. Des bouteilles de bière s’invitent dans le taxi. A mesure que nos deux co-voitureurs vident les bouteilles (le conducteur reste sobre, ouf !), le volume de la musique augmente, la nuit s’installe et la vitesse de la voiture reste dangereusement la même : 120 km/h. Il va sans dire que les ceintures de sécurité ne fonctionnent pas. Il fait maintenant nuit-noire et nous fonçons toujours aussi vite sur une route non bitumée, la voiture se cabrant à chaque nid-de-poule. Nous sommes paniqués. Finalement, 12h après avoir quitté Boukhara, nous entrons dans Moynaq en louant notre bonne-étoile de nous avoir gardés en vie.

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Autrefois, Moynaq était une ville de pêcheurs prospère.

Mahmoud est professeur d’anglais et nous héberge à ses risques et périls car il n’a pas l’autorisation d’accueillir des étrangers (seuls les hôtels l’ont). « Pourquoi êtes-vous venus à Moynaq ? », nous demande-t-il étonné. « Nous sommes venus pleurer la mer d’Aral ».  Autrefois, Moynaq était une ville prospère, bâtie sur les bords de la quatrième plus grande mer intérieure du monde. Avec un port actif et une énorme usine de mise en conserve, le commerce de la pêche battait son plein. Puis, au milieu du XXème siècle, Staline décida que l’Ouzbékistan deviendrait le grenier à coton du monde. Les deux grands fleuves alimentant la mer d’Aral, l’Amou-Daria et le Syr-Daria, ont donc été détournés massivement pour irriguer les champs de coton dans tout le pays. Pendant les 50 années qui ont suivi, non-alimentée et subissant les effets de l’évaporation,  la mer a perdu 90% de son volume. Aujourd’hui, les tempêtes de sable et de sel sont devenues monnaie courante dans la région, les quelques nappes phréatique sont contaminées par les pesticides utilisés dans les champs de coton, les maladies infectieuses telles que la tuberculose sont en constante progression et le taux de mortalité infantile est un des plus élevés du monde. Les rivages boueux de la mer d’Aral sont maintenant situés à 170 km au nord de Moynaq.

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Pas de commentaire pour celle-la.

Perchés sur le mémorial, nous contemplons en silence cette étendue infinie de désert ou, il n’y a pas si longtemps, fourmillait la vie. Les innombrables bancs de poissons, les populations de rat-musqués et les nombreuses espèces d’oiseaux ont disparu, laissant leur place à quelques vaches étiques n’ayant que des buissons d’armoise à se mettre sous la dent. C’est tellement difficile à concevoir ! Pour rendre le paysage encore plus dramatique, des dizaines de carcasses rouillées d’anciens bateaux de pêche sont posées là, témoignant de la rapidité du cataclysme. Silence. Aucun de nous ne parle. Nous sommes tous seuls. Bien sûr, nous connaissions déjà l’histoire « d’une des plus grandes catastrophes écologiques causées par l’homme », mais l’observer de nos propres yeux est une expérience à la fois émouvante et déprimante, qui nous marquera sans doute pendant longtemps.

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Évolution de la mer d’Aral depuis 60 ans.

Pour finir sur une note un peu plus positive, d’immenses travaux financés par la Banque Mondiale au Kazakhstan, permettent à la petite mer d’Aral, au Nord, de se re-remplir petit à petit. Elle aurait remonté de 6 mètres depuis 2010. Pour aller plus loin sur les travaux entrepris pour endiguer la disparition de la mer (au Kazakhstan), voir le très bon reportage de Thalassa.

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A Moynaq, ce sont maintenant les vaches qui se reposent a l’ombre des bateaux.

 

Véto des villes, véto des champs

La région du Pamir reste une des régions les plus isolées au monde. Surnommée le « toit du monde », elle représente 45% du territoire Tadjik mais seulement 3% de sa population. Son relief extrêmement montagneux, ses conditions climatiques rudes (précipitations faibles et importants écarts de températures), associés à de fréquents séismes  et des inondations, rend toute vie difficile. Dans la partie nord du Pamir, la population se réduit donc à quelques éleveurs qui font paître des troupeaux de yaks, de vaches, de moutons et de chèvres dans ces zones où seule l’herbe pousse autour des quelques cours d’eau.

C’est dans ce contexte qu’Akjol exerce son métier de vétérinaire rural.

« L’élevage dans les prairies d’altitude reste une source de revenus essentielle pour les habitants de la région. » nous explique–t-il, « Les alpages représentent une source infinie d’aliment de qualité et bon marché ! Ici, les bêtes sont élevées pour leur viande, leur lait qui sert à produire de la crème et du yaourt et leur laine et leur cuir qui servent à confectionner des vêtements et autres ustensiles. Leurs bouses séchées permettent aussi de produire du combustible.»

Il est 14h, Akjol nous invite à monter dans sa Lada cabossée pour aller voir une vache couchée. Nous sommes tout excités à l’idée de partager la routine d’un confrère Pamiri et l’accompagnons donc avec plaisir chez un éleveur situé dans le piémont du Pamir, à quelques dizaines de kilomètres du village de Sary Moghol. En route, il commente : « En ce moment, c’est l’été, la route est facile. Mais l’hiver, les températures sont largement négatives, les vents violents et la neige abondante. C’est la galère ! Mais, même s’il est dur, j’aime ce métier ! » Cela nous rappelle les récits de nos copains évoquant le métier de vétérinaire l’hiver dans des régions montagneuses du centre de la France. Arrivés chez l’éleveur, c’est un diagnostic sans stéthoscope et sans thermomètre qu’il va falloir conduire, et cela semble normal. « Ici la médecine vétérinaire est rudimentaire, nous manquons lourdement de moyens et d’infrastructures. »

« La principale maladie infectieuse des bovins circulant dans la région est appelée yarche. Elle se manifeste par de la fièvre et des lésions dans la bouche et sur les pieds », nous informe Akjol en sortant de son coffre trois seringues ainsi qu’un flacon rempli d’un liquide blanc. « Mais nous savons comment la prévenir ! » Nous passons le reste de l’après-midi à courir après une vingtaine de vaches pour essayer de les vacciner contre cette terrible maladie mieux connue dans nos contrées sous le nom de fièvre aphteuse.

Apres l’effort, le réconfort, nous finissons la journée près du feu avec bol de thé, pain rond et beurre de yak en guise d’apéro. Un moment convivial !

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Élevage bovin familial dans les montagnes du Pamir.

 

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Akjol s’apprête a vacciner tous les veaux de l’élevage contre la fièvre aphteuse.

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Après l’effort le réconfort autour d’une tasse de thé et de quelques tartines au beurre de yak

 

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La dream team des vaccinateurs !

 

 

Le Vélo de la Soie sur la Route du Pamir

Pour qui aime la solitude et les grands espaces, le Tadjikistan est le paradis. Dès le passage de la frontière sur la fameuse M41, nous nous retrouvons dans un paysage désolé ou, certains jours, les marmottes et les yaks sont les seules traces de vie que nous rencontrons. Notre progression sur la Route du Pamir n’est pas aisée car les vents nous sont souvent défavorables, notre respiration à plus de 4000 m d’altitude est parfois difficile et nos intestins toujours en peine. Cela dit, le soleil se met à être quotidiennement au rendez-vous et nous sommes agréablement surpris par l’état de la route. A notre plus grand bonheur, les sections non-goudronnées ne sont jamais plus longues que quelques dizaines de kilomètres, et, bien qu’il faille parfois pousser le vélo pour traverser une rivière ou contourner certains pans de route emportés par les crues printanières, notre moral reste toujours au beau fixe.

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Pamir, nous voila !!!

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Oui, bon, être continuellement a plus de 4000m d’altitude ça fatigue…

Apres une semaine passée à pédaler dans un des univers les plus impressionnants qu’il nous ait été donné d’admirer, nous posons  pour quelques jours nos sacoches à Murghab, une petite ville de 6000 âmes située au cœur des montagnes à plus de 3500 m d’altitude. Le Tadjikistan souffre actuellement d’une crise financière sans précédent qui fait que les liquidités manquent cruellement dans les zones reculées du pays. En conséquence, certaines banques font faillite et les distributeurs ne sont plus approvisionnés. On nous a mal renseignés !!! Avec nos quelques centaines de somonis (= quelques dizaines de USD) en poche et l’assurance que le distributeur en activité le plus proche est au mieux a Khorog, soit a plus de 300 kilomètres (5 jours de velo), nous commençons a nous dire que nous devrons contenir notre joie de pouvoir manger autre chose que du pain dur et des faux Snickers, que notre période de repos devra être écourtée et que nous ne pourrons pas assister au festival de traditions équestres At-Chabysh qui nous motivait tant (cf. article précédent). Notre moral en prend un coup certain ! Finalement, nous arrivons à plaider notre cause auprès du gérant de la principale auberge de la ville. Nous le convainquons de nous prêter sur parole près de 150 USD que nous rendrons à une de ses connaissances quand nous arriverons à Khorog. Sauvés ! Nous fêtons cette bonne nouvelle avec Andy et Clare, nos deux plus fidèles compagnons de route que nous avions laisses a Osh et que nous sommes heureux de retrouver !

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Faut faire gaffe a l’eau dans ce pays !

A mesure qu’on se dirige vers l’ouest du Tadjikistan, nous quittons progressivement les haut-plateaux et redescendons progressivement en altitude. Les arbres refont leur apparition après plus de deux semaines d’absence, les rivières se font plus bouillonnantes, la circulation s’intensifie, l’agriculture et l’élevage réapparaissent enfin. Bref, la vie revient et ca fait du bien !!! Nous retrouvons Andy et Clare près de la frontière Afghane pour conclure la route du Pamir et pédaler ensemble les derniers 400 km qui nous séparent de Douchanbe, la capitale du Tadjikistan. Cette dernière section nous parait infinie. Nous traînons tous une diarrhée chronique qui nous affaiblit. La poussière, les klaxons et la chaleur devenus omniprésents nous fatiguent. Finalement, après 1000 km à pédaler sur une des routes les plus hautes du monde, nous entrons dans Douchanbé, soulagés ! Avant de ré-enfourcher nos vélos, passer la frontière Ouzbèke et affronter les tempêtes de sable et les températures extrêmes, nous nous vautrons dans l’excès en donnant libre court a un consumérisme débridé ! C’est bon !!!

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The cycling dream team, avec Andy et Clare Evans qui sont partis du Japon et tentent de rentrer a Brighton…

Notre itinéraire au Tadjikistan :

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Baiser volé à cheval

« Les chevaux sont les ailes des Kirghizes » (proverbe kirghize)

En ce week-end d’août, locaux et touristes de passage ont afflué vers Murghab, une petite ville isolée du Pamir oriental au Tadjikistan pour célébrer « At Chabysh », ce qui signifie « course de chevaux » en kirghiz. « At Chabysh », c’est un des plus grands festivals équestres, organisé à l’automne de chaque année, durant lequel des centaines de kirghizes se réunissent pour célébrer les sports équestres traditionnels kirghizes.

Aujourd’hui, nous sommes venus entre autres assister à la grande finale du jeu du « kyz-kuumai ». Hilarant et assurément animé, ce jeu oppose une cavalière à un cavalier au triple galop, ce dernier ayant pour objectif d’embrasser la cavalière. Ils y vont de bon cœur mais les jeunes cavalières sont loin de se laisser faire ! A leur tour, elles courseront les-dits prétendants à coup de cravache !

Les foules se sont réunies à quelques kilomètres de la ville, sur un vaste plateau aride situé à plus de 3500 m d’altitude, balayé par les vents et encerclé de montagnes spectaculaires. Les cavalières sont vêtues de costumes traditionnels et paradent au milieu de la foule. Leurs montures arborent pour l’occasion de superbes couvertures brodées. « Elles se sont entraînées pendant des semaines avec leur meilleure monture » commente l’entraîneur de l’équipe. « Elles vont pouvoir prouver que leurs aptitudes à monter les chevaux kirghizes égalent celles des hommes ! » rajoute-t-il. « Les cavalières ont été sélectionnées parmi les meilleures de la région. La sélection a été rude, elles étaient des centaines mais seulement 10 ont été retenues pour participer au jeu » poursuit Jacqueline Ripart, à l’origine de la fondation « Kyrgyz Ate ». Cette ONG kirghize, créée en 2004, soutient l’événement depuis quelques années « L’objectif de la fondation est de préserver le cheval kirghiz et les traditions qui lui sont liées, à une époque ou les jeunes sont plus intéressés par les voitures et les smartphones que par les traditions » nous avoue-t-elle en riant.

Mais c’est alors que le coup de sifflet est donné ! Dans une ambiance survoltée, les cavaliers et les cavalières se lancent à une vitesse vertigineuse dans une course effrénée aux baisers ! Durant les quelques heures de jeu, seuls quelques baisers ont été volés, sous les sifflements et les acclamations de la foule. La gloire aux cavalières ! Nos cheveux sont couverts de sable et nos visages séchés par le soleil. Nous sommes heureux d’avoir enfin pu avoir un aperçu de la gloire passée des cavaliers kirghizes !

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Cavalières du festival At-Chabysh

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Femmes cheval.

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Attrape-moi et embrasse-moi si tu peux !

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A ton tour !